YIA Art Fair #5 / Carreau du Temple / Paris
Pour ceux qui n’auraient pas eu l’occasion de visiter la 5e édition de la YIA Art Fair, voici le lien vers la visite virtuelle (cliquez sur la photo) :
Deux pans de murs vides, un coin dénudé, c’est le sujet de la toile qui ouvre le stand. Basel, de William Wright, fixe l’essence de la foire suisse en dissimulant sous une ultime couche de peinture les objets de toutes les curiosités. De la toile émane un simple calme, celui d’un stand sans œuvre, repos de l’œil pour l’amateur.
À la même époque, le peintre figure sa femme. Elle contemple une sculpture monumentale de Henry Moore dans un musée danois face à la mer. Les deux silhouettes se mêlent à tel point qu’une question se pose : qui regarde qui ? Là encore, l’œuvre du peintre anglais exprime une pause, une contemplation intense. C’est dans ce soupir que l’artiste crée.
La création est ainsi autorisée par un retrait, enjeu de l’œuvre de Samuel Yal. Celui-ci modèle la porcelaine dont la rétractation à la cuisson permet l’avènement de la sculpture. Pour Memento Mori, l’artiste accole un crâne humain à son premier autoportrait. Répétée comme un mantra, la tête janiforme confronte le sculpteur à l’impossibilité de sa propre représentation. Il se heurte à la finitude de la mort.
Cette impasse, il l’avait déjà approchée dans sa série Impression. Une multitude de pics de porcelaine recouvrent intégralement un visage. Samuel Yal tente ici de saisir la matérialité de l’espace d’intimité, celui dans lequel le corps se projette dans le monde, espace immatériel et pourtant chargé de présence.
Ivan Cantos-Figuerola partage ce désir de figer dans la matière l’insaisissable. Il évoque pour sa part l’enfance (Infancia) ou plutôt son souvenir tenu et entaché d’oubli. Le sculpteur espagnol fixe ainsi tour à tour l’enfance du jeu, faite de ses petits soldats de plastique, celle littéraire de l’imagination qui inclut le premier livre qu’il ait lu et enfin celle spirituelle de sel, matériau symbolique de la mélancolie face au souvenir qui disparaît.
Saisir l’éphémère, l’émotion fugace, c’est aussi le propos de Sidération. Raphaël Thierry s’intéresse à la représentation de ce moment qui annonce la peur. Il choisit de représenter Fay Wray, l’actrice de King Kong, film de 1933, lorsque la jeune femme découvre le monstre. Son personnage avait feint la peur quelques scènes plus tôt, elle la ressent bientôt, mais l’actrice se pare toujours d’un masque. L’artiste s’intéresse à cette peur au triple visage, ainsi qu’à la réaction du voyeur mis en présence de la peur ressentie par une autre. À la surface de
la toile, la touche paraît abstraite, suite d’accidents successifs où les couleurs se mêlent comme sur une palette. La fragmentation de la forme induit la nécessité d’une mise à distance par rapport au sujet. Cette distance, à la toile et à l’autre, donne à voir une Anatomy of fear.
Le monde extérieur imprime sa marque sur les traits du visage. C’est le propos
de la série Synesthésie de Samuel Yal. La synesthésie est un phénomène par lequel deux ou plusieurs sens sont associés. Le sculpteur rapproche dans ces œuvres le toucher et la vue. Les épines de porcelaine sont ainsi tournées vers l’intérieur du visage ou concentrées sur les yeux. Ce que je vois, je le touche et ce que je vois me touche. Ce qui me touche habite mon corps, l’intériorité se tisse par l’extériorité. Le substrat de cette expérience est la chaire. La vue permet le toucher du monde qui en moi accède à un intouchable, insondable, incorruptible.
Puis Spumosité offre au regard toute la grammaire de l’artiste, sans pour autant délimiter une forme précise. Samuel Yal décrit cette œuvre comme « ce qui sortirait d’une de mes sculptures si on l’éventrait ». C’est un chaos primordial ou bien de fin du monde, un tohu bohu d’où jaillissent et se mêlent des éléments, humains et végétaux, dans un état confus. La sculpture, énergie vitale, pointe le vide qui l’entoure.
Raphaël Thierry s’attache à la même idée par sa manière de convoquer la lumière dans Clair de Lune. La gomme enlève la matière du fusain et laisse apparaître
une silhouette féminine. Cette femme, à la fois idéale et universelle, est décrite par Baudelaire dans Le désir de peindre. De ce soleil noir émane l’être aimée ou plutôt son souvenir.
Ce pouvoir d’évocation se prolonge avec Autoportrait 9CH. Loin du gigantisme
de l’art contemporain, Samuel Yal sculpte un autoportrait minuscule de quelques millimètres. Dosage infinitésimal de la représentation de l’ego, cette pièce se veut un remède homéopathique à la prétention de s’imposer par la surdimension de l’œuvre. Soit un autoportrait, antidote de l’autoportrait.
La volonté d’évoquer l’éphémère se traduit aussi dans les œuvres de Guillaume Castel. Il saisit la nature de son pays natal, la baie de Morlaix et en extrait une poésie végétale. La fragilité et l’élégance de la nature s’expriment dans des formes pures. Capsul est un jeu d’origami d’acier, tout en plié-déplié. La capsule en botanique contient une multitude de graines. La forme fermée dissimule au regard son propos. En jaillissent les Graingrain, graines imaginaires. Une version en voile de béton reprend l’œuvre monumentale présentée à la Haye et à la YIA l’année dernière dans la cour des Archives nationales. À cette version intermédi- aire répond la petite version de bronze.
Enfin, l’amateur peut reprendre sa déambulation. Il y est invité par Verso l’alto. Raphaël Thierry utilise un matériau pauvre et brut assemblé pour en révéler l’élégance. De fines lamelles de bois de cagettes sont ainsi cloutées entre elles sur une structure de bois et de métal. Le jeu d’ombres accentue encore la vision d’un battement d’ailes émanant du mur qui soutient l’œuvre et se fait paysage ouvert. L’imagination permet la liberté, même dans un espace clos : un voyage intérieur. “I could be bounded in a nutshell, and count myself a king of infinite space.” Shakespeare, Hamlet, II.ii